Présentation du livre

L’œuvre de René Guénon a été absolument primordiale dans l’élaboration de la pensée et des écrits d’André Allard l’Olivier. Suite à la grave crise intérieure que ce dernier avait traversée en 1935, il s’était tourné vers différentes lectures pour tenter de donner sens à ce qu’il lui était arrivé. Il est certain que dans ce contexte, les livres de Guénon ont été pour lui d’une importance capitale[1]. Ainsi qu’il a déjà été signalé, l’aboutissement de ce cheminement intérieur fut pour André Allard l’Olivier l’entrée dans le sein de l’Église catholique romaine. Ce fut un choix qui n’alla pas immédiatement de soi, car ce qu’il avait vécu n’était pas lié à une forme traditionnelle particulière. Nous renvoyons à L’Illumination du Cœur le lecteur qui souhaiterait comprendre à quoi nous faisons allusion, mais il importe de souligner qu’il ne s’agit pas du tout de quelque chose de l’ordre d’une apparition ou d’une vision (aussi respectable une telle expérience puisse-t-elle être). Pourquoi le baptême catholique, cela relève naturellement de son secret le plus intime. Il est juste aussi de se souvenir que certaines possibilités, qui peuvent paraître aujourd’hui assez facilement accessibles, l’étaient beaucoup moins il y a 70 ans de cela. Quoi qu’il en soit, ce qui est certain, c’est qu’une fois ce choix posé, André Allard l’Olivier lui fut fidèle jusqu’à son dernier souffle, et qu’il considéra comme de son devoir le plus sacré de partager sa foi et de tenter de convaincre autrui de ce qu’il estimait être la vérité. Le point délicat est ici que, conformément d’ailleurs à la doctrine de l’Église, cette expression de la vérité lui apparaissait comme la seule qui soit intégralement recevable et que, par conséquent, les autres formes traditionnelles, dans la mesure où on pouvait y reconnaître une part de vrai, étaient, si l’on peut s’exprimer ainsi, une sorte de catholicisme qui s’ignore. Ce point de vue n’a rien d’original et a été partagé dans le passé par de nombreux écrivains catholiques. Ce qui est paradoxal dans le cas d’Allard l’Olivier est qu’il fut conduit à ce point de vue non pas, comme beaucoup d’autres, par ignorance ou par préjugé, mais après avoir connu une expérience de l’absolu indépendante d’une forme particulière, après avoir lu et étudié Guénon, qu’il admirait et considérait comme l’auteur le plus important du XXe siècle, et après avoir étudié – de manière livresque il est vrai – les doctrines de l’Inde, de la Chine et de l’Islam. Nous ne nous chargeons pas d’expliquer ce paradoxe, mais il est clair que cette manière de voir devait nécessairement l’amener à une divergence irréconciliable avec certains aspects, et parmi les plus profonds, de la doctrine exposée par René Guénon. Puisque le Christ avait dit : « Je suis la Voie, la Vérité et la Vie », il s’ensuivait, selon André Allard l’Olivier, que la seule voie possible était Jésus-Christ, que la seule vérité était celle du catholicisme romain (auquel ne se réduit d’ailleurs pas, pourrait-on objecter, le christianisme), et que seule l’Église pouvait garantir le salut de ses fidèles. Avec toutefois, reconnaissons-le, une extension à tous ceux qui, bien qu’appartenant à une autre tradition, avaient « connu le Christ dans le secret ». Nous ne sommes pas tout à fait certains, d’ailleurs, que ce soit là la position officielle de l’Église sur ce sujet, mais la droiture et la générosité naturelles d’Allard l’Olivier ne lui permettaient pas d’imaginer Shankarâcharyâ condamné à rôtir en enfer. Dans le même ordre d’idées, il citait souvent la parole du Christ : « Qui n’est pas avec Moi est contre Moi » (Mt, XII, 30) ; mais il ne citait jamais cette autre parole du Christ à ses disciples, pourtant également rapportée par l’Évangile : « Qui n’est pas contre vous est avec vous » (Lc, IX, 50), laquelle rétablit un nécessaire équilibre dès lors que ce n’est plus le Logos en tant que tel qui s’exprime, mais qu’il s’agit de la manière dont la Parole sera apportée au monde. Peut-être pourrait-on résumer tout cela en disant que pour René Guénon, le Christ est une des manifestations du Verbe divin ; mais que pour André Allard l’Olivier, de même que pour l’Église catholique, le Verbe divin s’identifie exclusivement à Jésus-Christ « vrai homme et vrai Dieu ».

La conséquence de cet état de choses est que ce livre risque sans doute de déplaire au plus grand nombre. À ceux qui ont accepté dans sa totalité le message de René Guénon, il paraîtra sans doute l’œuvre d’un exotériste catholique engoncé dans un carcan néo-thomiste ; tandis qu’à certains catholiques, il risque encore de paraître s’aventurer de trop près du côté des doctrines orientales.

Cela étant, dont nous préférons avertir d’emblée le lecteur éventuel, il nous semble que la lecture de cet ouvrage est loin d’être dénuée d’intérêt même si l’on ne souscrit pas aux conclusions de l’auteur. C’est un livre, et ce n’est pas si fréquent, où il est vraiment question de métaphysique, où des problèmes importants sont soulevés, où des clarifications essentielles sont tentées[2]. On peut être en désaccord avec l’auteur ; on ne peut pas refuser à celui-ci la rectitude de la pensée ni le courage de ses opinions. On peut refuser les thèses défendues dans cet ouvrage ; on peut difficilement nier l’intérêt de le lire. L’auteur est un polémiste : il défend la cause à laquelle il a voué sa vie ; mais on ne trouvera jamais sous sa plume de pensée basse ou d’attaque ad hominem. Jamais non plus un mot malsonnant à l’égard de l’islam, qui lui posait un grave problème parce que venu après le Christ. Précisons, et c’est sans doute cela qui fait la véritable originalité de ce livre, que jamais il ne prétend régler ces graves questions en deux ou trois phrases vite expédiées où l’on oppose saint Thomas d’Aquin à la « mystique naturelle » et où René Guénon est condamné sans autre forme de procès à cause de son prétendu « orgueil intellectuel ». Si l’auteur arrive à certaines conclusions avec lesquelles la plupart des lecteurs de René Guénon ne seront pas d’accord, c’est en tout cas au terme du cheminement d’un homme qui a voué sa vie à la recherche de la vérité. Ajoutons, à l’intention des lecteurs en question, qu’il est sans doute plus sain de parfois confronter ses convictions avec celles d’un contradicteur que de lire et relire encore et toujours les mêmes gloses indéfiniment répétées par des épigones atteints de psittacisme.

L’auteur fut aussi, et cela dans le sens le plus profond du terme, un « solitaire », et cela même au sein de l’Église à laquelle il appartenait[3]. Qui pourra dire ce qui se serait passé s’il avait rencontré, au moment opportun, un maître qui l’eût guidé sur une autre voie ? Mais cela n’était pas dans son destin, et les si ne sont pas de mise dans ce domaine.

 

*

 

Il conviendra de se souvenir que le manuscrit de ce livre date de 1983, avant, par conséquent, la grande vague d’ouvrages qui a accompagné le centenaire de la naissance de René Guénon et plus encore le cinquantenaire de son décès.  Il y a donc relativement peu de références à des ouvrages sur Guénon. On se rendra vite compte, du reste, qu’il s’agit là d’un ouvrage extrêmement personnel, fruit de longues années de réflexion, et non d’une compilation indigeste de tout ce qui a été écrit avant lui. 

Il a fallu ressaisir entièrement un texte qui existait uniquement sous forme de tapuscrit. Nous n’avons rien modifié dans le texte, à moins de quelques erreurs de frappe ou de ponctuation évidentes[4]. Peut-être l’auteur lui-même, s’il était encore vivant, modifierait-il l’un ou l’autre chapitre aujourd’hui. Nous n’en savons rien. Mais nous avons pris le parti de laisser l’ouvrage absolument tel quel, et cela d’autant plus que nous aurions pu être parfois tentés d’en trahir l’esprit, ou tout au moins d’en atténuer l’expression.

Les très nombreuses citations aux ouvrages de René Guénon renvoient malheureusement à des indications de pages. Les éditions utilisées sont indiquées in fine dans la bibliographie. Nous sommes bien conscients que la plupart des éditions aujourd’hui en circulation ont des paginations différentes, et que des renvois à des chapitres (toujours courts chez Guénon) seraient mieux adaptés. Il ne nous est pas possible, faute de temps, de faire ce travail de transposition. Nous espérons que cela ne constituera pas un obstacle majeur pour le lecteur. Il ne nous a même pas été possible de vérifier si tous les numéros de page indiqués sont corrects ou non.

Après avoir beaucoup hésité, et malgré le fait que celle-ci nous paraisse parfois discutable voire fautive, nous avons renoncé à revoir la transcription des mots ou des noms d’origine étrangère, notamment sanscrits ou arabes. L’une des raisons en est que ces mots apparaissent assez fréquemment dans des citations, où il convient de toute manière de respecter la transcription initialement adoptée par l’auteur cité (souvent Guénon lui-même, mais pas toujours). Nous laissons donc les choses en l’état où les a laissées l’auteur de ce livre ; nous pensons d’ailleurs qu’il ne peut pas en résulter un grand dommage en ce qui concerne la compréhension du texte, et c’est bien là ce qui importe le plus. Il ne s’agit pas ici d’un ouvrage d’érudition, et Guénon lui-même ne s’est jamais embarrassé de systèmes de transcription « scientifiques ».

Il est presque certain que quelques erreurs subsistent encore. Nous demandons par avance l’indulgence du lecteur si c’est le cas. Nous serions d’ailleurs très reconnaissants à toute personne qui découvrirait une erreur de bien vouloir nous la signaler en nous envoyant un courrier électronique à l’adresse contact@andreallardlolivier.net.

« Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté. »



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[1] Nous savons néanmoins par des notes personnelles que deux titres seulement ont été étudiés par lui avant la guerre : L’Homme et son devenir selon le Védânta, et Le Symbolisme de la croix. Juste après la guerre vint la lecture du Règne de la quantité, suivie plus tard de celle des autres ouvrages de Guénon. 

[2] Pour ne citer qu’un seul exemple particulièrement important, de nombreux chapitres portent sur la question de savoir si l’Être principiel est fini ; l’auteur affirme que la doctrine exposée par René Guénon (et selon laquelle seul le Non-Être au-delà de l’Être est véritablement infini) n’est pas recevable, et lui oppose la doctrine chrétienne de l’Ipsum Esse divin.

[3] Nous renvoyons le lecteur au poème intitulé « Stances de l’ignorance sagace », paru dans la revue Audace en 1969. Nous reproduisons ici ce texte qui aidera peut-être à mieux comprendre le cas de l’auteur.

[4] En quelques très rares endroits, nous avons néanmoins été obligés de modifier ou de supprimer un membre de phrase qui, par suite sans doute de l’une ou l’autre omission lors de la dactylographie, ne présentait aucun sens cohérent par rapport à l’ensemble.


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